Théories du patrimoine
Les consultations publiques récentes pour une nouvelle politique culturelle ont mobilisé les sociétés, dont le Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV), à déposer un mémoire. Parmi elles, plusieurs sont fédérées au CQPV qui regroupe des praticiens (chants, contes, danses, musiques traditionnels). Leur mémoire reprend en partie les définitions du CQPV. C’est une bonne stratégie puisque quelques centaines de praticiens parlent ainsi d’une seule voix. Toutefois, il importe de présenter le patrimoine vivant avec justesse.
La définition du patrimoine immatériel selon le CQPV
« Le patrimoine immatériel est un concept établi pour désigner des traditions, en particulier des pratiques culturelles transmises de génération en génération par oralité, observation et imitation. Il a pour objectif principal de favoriser la sauvegarde et le développement des divers éléments qu’il comprend, dans un esprit d’action culturelle, de diversité et de développement durable. Il a été créé pour changer les choses.
Le patrimoine immatériel est une appellation créée à l’UNESCO par contraste avec le patrimoine bâti. Longtemps appelé folklore puis connu sous les appellations arts et traditions populaires, traditions orales ou culture traditionnelle, le patrimoine immatériel est en constante évolution. D’où l’emploi courant de l’expression patrimoine vivant pour le nommer. »
Quelques corrections s’imposent. Le patrimoine culturel immatériel (PCI) est un élément intangible. Il n’a pas d’objectif : ce sont des connaissances ancestrales ou contemporaines pratiquées par des porteurs de traditions. Le PCI fait contraste au patrimoine matériel, dont le bâti. Son emploi courant est patrimoine immatériel qui est le genre commun. Le patrimoine vivant est une sous-catégorie du PCI. Ces notions sont clairement inscrites dans la Convention de l’UNESCO de même que dans la Loi du patrimoine culturel adoptée par le gouvernement québécois en 2011.
Une stratégie de communication avant tout militante
En 2008, le CQPV explique qu’il utilise systématiquement l’expression patrimoine vivant comme synonyme du PCI entre autres parce qu’elle identifie l’organisme et ses membres et qu’elle définit son mandat. Dans un long argumentaire assez contourné, il présente le patrimoine vivant comme l’incarnation du PCI. Ce dernier serait plutôt associé à l’étude du phénomène.
Pourtant, c’est bien connu, les références à l’étude des patrimoines sont des expressions courantes. On comprend ce que veut dire étude du patrimoine bâti, étude du patrimoine ethnologique. L’expression étude du patrimoine vivant est tout aussi claire.
Une définition du concept souple et riche
Selon la Convention de L’UNESCO, le PCI comprend les pratiques, les représentations, les expressions, les connaissances et savoir-faire ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés. Il doit être reconnu par les groupes et les individus comme tel. Il est transmis par les générations précédentes et recréé au fil des époques et des aléas du milieu.
Ainsi, contrairement au CQPV, la Convention inclut dans sa définition les biens matériels associés aux manifestations. C’est aussi le choix du gouvernement québécois pour sa législation.
L’association PCI et patrimoine vivant
La Convention de l’UNESCO ne comporte aucune référence à l’expression vivant. Dans une page définissant le terme, l’organisme utilise « traditions et expression vivantes ». La différence est clairement établie même si la sous-section culture de l’UNESCO utilise l’expression patrimoine vivant dans ses publications.
La législation québécoise ne contient aucune mention du terme vivant lorsqu’elle réfère au patrimoine immatériel. Sur le site du ministère Culture et Communication, on peut lire : « parce qu’il est transmis par des porteurs de traditions, de génération en génération, le patrimoine immatériel est vivant ». Un peu plus loin, le MCC précise sa pensée : « les éléments du patrimoine immatériel sont adaptés à leur temps et à leur environnement. Comme ils sont vivants, ils ne sont pas figés, immuables ou reproduits à l’identique d’une génération à l’autre ».
La volonté du CQPV à protéger le patrimoine vivant est légitime. Cependant, lorsqu’il le présente comme un synonyme du patrimoine immatériel, c’est l’ensemble des PCI qui est menacé puisque le public perd de vue des patrimoines immatériels qui ne sont pas associés au patrimoine vivant, notamment des pratiques, des éléments de traditions orales, des savoir-faire et d’autres. À la longue, des communautés en viendront à ne plus savoir reconnaitre leur patrimoine immatériel.
Revoir ses stratégies de communication
En 2008, l’exercice de bâtir la notoriété du patrimoine vivant était nécessaire. Cependant, si le conseil doit encore recourir à l’ambigüité c’est qu’il n’a pas réussi ses objectifs de départ. Il est peut-être temps pour lui d’utiliser les bons termes et d’expliquer systématiquement de quoi il parle. C’est la seule façon d’éduquer les publics concrètement à la notion de patrimoine vivant. Et, la meilleure stratégie à long terme pour sa sauvegarde .
Ce billet est le premier d’une série de deux : Le patrimoine vivant […] : la suite
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