Ludger Duvernay
par Jean-Baptiste Roy-Audy, 1832

Histoire du patrimoine

Les débuts de la fête nationale sont connus. Le 24 juin 1834, l’imprimeur Ludger Duvernay réunit une soixantaine de convives autour d’un banquet. Au cours de la soirée, une quarantaine de santés sont lancés, la plupart associés aux idéaux du parti patriote. Les invités décident de refaire l’activité l’année suivante. « Cette fête, dont le but est de cimenter l’union entre les Canadiens, ne sera point sans fruit. Elle sera célébrée annuellement comme Fête Nationale, et ne pourra manquer de produire les plus heureux résultats[1] ».

L’idée du banquet se répand dans les villages, surtout les lieux abritant des patriotes associés aux rébellions. À Montréal, le banquet est tenu de 1835 à 1837. Menacé d’emprisonnement, Ludger s’exile aux É.-U. le 16 novembre 1837. De Burlington où il réside, il organise un banquet en 1839 et 1840. Et, peut-être en 1841. Il revient à Montréal au printemps 1842.

En 1843, la célébration est simple. Les sociétaires se donnent rendez-vous dans un lieu pour se rendre en procession à l’église. Ils portent une feuille d’érable à la boutonnière. Plusieurs manquent à l’appel, car ils sont aussi membres de la Société de tempérance et de charité qui se rend, elle aussi, à l’église en procession. Alors que les sociétaires se mettent en marche, ils entendent de la musique et voient arriver à l’église, précédée d’une fanfare, la Société de tempérance portant deux bannières. Pendant le service, les sociétaires décident de se joindre à la Société de tempérance et de terminer la procession avec elle. Quant à leurs épouses, elles promettent de broder des bannières et des étendards pour ajouter du prestige à l’événement. C’est ainsi que le défilé fut ajouté aux manifestations de la fête nationale.

Défilé de la Saint-Jean-Baptiste
Montréal, 1870

Déjà en 1845, le défilé a pris de l’ampleur. Les sociétaires membres des pompiers canadiens sont en uniforme écarlate avec leur insigne de même que les membres de la Société de tempérance. Les membres de l’Institut canadien et de la Société des amis portent tous un ruban blanc. Les officiers de L’Association Saint-Jean-Baptiste (ASJB) portent leur insigne et ferment la marche. La procession est accompagnée d’une fanfare et d’une bande militaires. Tous ces groupes portent leurs bannières. L’église Notre-Dame a pavoisé son clocher avec des drapeaux. Après la messe, les participants ont la surprise de voir les bannières des Sociétés Saint-Patrick (Irlandais), Saint-Georges (Anglais) et Saint-Andrew (Écossais) ainsi que celle de Saint-Nicolas (patron des marins) sur le parcours.

En 1846, 1 000 écoliers participent au défilé qui se compose de 6 000 personnes. Avec l’accord de l’ASJB, l’Institut canadien organise une soirée musicale pour fêter la fête nationale. C’est la première fois que les femmes sont invitées à célébrer publiquement la Saint-Jean. Ailleurs, des collégiens célèbrent la Saint-Jean avec des chants, des pétards et des discours. L’esprit de la fête se répand dans la ville et de nombreuses bannières décorent les rues.

Banquet 1906, avec des femmes assises

En 1850, suivant un incendie majeur dans Griffintown, la Société annule le banquet pour se consacrer à aider les sinistrés. Cette décision, qui est approuvée par l’ensemble des sociétaires, révèle l’autonomie des sections et l’importance pour les Canadiens français de célébrer leur fête. De fait, l’annulation du banquet amène plusieurs sections locales à organiser un repas pour leurs membres. La section de Ville-Émard ira plus loin en préparant des amusements publics, ce qui suggère une volonté d’inclure tous les membres de la famille dans les festivités.

Témoignant de son époque, l’historien Benjamin Suite confirme que la Saint-Jean est célébrée un peu partout. Il rapporte avoir vu en 1850 de nombreux feux (de joie) entre Québec et Trois-Rivières : « Ces feux, sur le bord du fleuve, se regardaient les uns les autres. Tout le pays était en fête. Au collège de Nicolet, grand congé, pique-nique, promenade sur l’eau. Partout la première baignade de la saison, dans le fleuve, en bandes, aux éclats des chansons et de la gaieté générale[2] ».

En 1851, Ludger Duvernay est élu président de l’Association. Sous sa gouverne, la célébration prend un nouvel envol. C’est l’ASJB qui organise la soirée musicale au cours de laquelle les participants sont invités à chanter. Lors de la messe, un petit saint Jean-Baptiste est installé sur une estrade face au président de la Société. L’enfant aurait par la suite défilé avec les grands. Outre le banquet, la messe, le défilé et la soirée musicale, une fête champêtre avec pique-nique est officiellement organisée. Musique d’ambiance le jour et danse quadrille en soirée; pour toute la famille. Il en est de même l’année suivante.

La présidence de Ludger Duvernay sera de courte durée puisqu’il décède le 28 novembre 1852. Toutefois, à titre de commissaire ordonnateur, puis de président, il aura mis en place tous les éléments qui forment l’essence de la fête nationale encore aujourd’hui : une rencontre festive, une fête pour tous les membres de la famille, l’importance d’inclure les enfants, des activités surtout à l’extérieur, de la musique et des chants, l’expression de l’identité culturelle par des objets et des chansons et un temps pour exprimer la fierté d’être Canadien français, aujourd’hui Québécois.

Bonne Saint-Jean à tous!

[1] La Minerve, 26 juin 1834, p. 3.

[2] En abime dans Alexandre Dugré, Saint Jean-Baptiste : le saint, la fête, sans référencer la source d’origine, p. 8.

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