Les sucres Edmond-Joseph Massicotte, 1916

Les sucres
Edmond-Joseph Massicotte, 1916

Patrimoine immatériel

Le retour du temps doux annonce le début des sucres. Si la pratique de l’acériculture, c’est-à-dire de la fabrication du sirop d’érable et son industrie en général, est aujourd’hui perçue comme patrimoine immatériel, c’est que cette idée a cheminé dans la longue durée. Retour sur son histoire et les aléas de sa patrimonialisation.

Un intérêt pour les sciences naturelles

Au XVIIIe siècle, les érudits s’intéressent aux sciences naturelles qui pour l’érable se limitent au gout de la sève et du sirop et à ses utilisations médicinales. Les approches changent avec l’apparition d’un penchant pour l’exotisme. Ainsi, entre 1787 et 1789, Nicolas-Gaspard Boisseau rédige un texte sur la fabrication du sirop d’érable où il met l’accent sur la construction d’une cabane temporaire et traite brièvement de la fabrication.

Nouvelles valeurs culturelles

Au tournant du XXe siècle, le journal La Patrie suggère que l’acériculture serait en déclin. Pour la réactualiser, l’auteur souligne l’apport économique de son exploitation. Il constate aussi une valeur identitaire où « nos vieilles sucreries avec leurs bonnes coutumes étaient un trait distinctif de la vie de nos habitants[1] ».

Quelques années plus tard, Pilules Moro utilise le temps des sucres dans sa publicité. Ce choix montre que l’activité est populaire auprès de la population. À coup sûr, le visuel attirera le regard des lecteurs vers la réclame.

Les incertitudes de la patrimonialisation

Publicité Pilules Moro, 1902

Publicité Pilules Moro, 1902

Avant qu’une perception patrimoniale puisse s’imposer, un bien doit acquérir des valeurs symboliques – devenir une chose sociale. Pour que ces nouvelles valeurs soient acceptées par la société, elles doivent être diffusées et appropriées.

C’est le cas en 1909 dans un texte combinant différentes valeurs. Ainsi, l’auteur mentionne d’abord l’aspect économique de l’industrie. Puis, il souligne une valeur sociale de rassemblement et termine avec une description à la fois rigoureuse et vulgarisée de la fabrication[2]. Le savoir-faire et les valeurs culturelles sont ainsi mis de l’avant sans perdre de vue l’utilité de l’industrie. Sa dimension patrimoniale peut donc se développer par la diffusion.

Circulation de l’idée patrimoine

En 1925, le thème du défilé de la fête nationale inclut un char illustrant la fabrication du sirop d’érable. L’utilisation d’objets de la culture, en tant que sujets, confirme qu’ils sont suffisamment importants parmi la population pour être reconnus, même de manière symbolique, lors du défilé. Les concepteurs insistent sur l’ancienneté de la technique et suggèrent une transmission du savoir-faire. Ce dernier possède dorénavant les caractéristiques patrimoniales nécessaires sans être associé au patrimoine.

Le Festival de l’Érable de Plessisville illustre un bon équilibre entre les dimensions utilitaires et patrimoniales. Créé en 1959, il vise à stimuler l’intérêt du public pour les produits de l’érable. Pour se faire, les organisateurs misent sur l’un des aspects immatériels de l’industrie avec une fête populaire autour d’une partie de sucre.

Toutefois, l’ambiguïté demeure

L’an dernier, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec propose aux enseignants du primaire un programme pédagogique où les enfants sont introduits à l’importance de l’érable. On leur offre également un moyen de les protéger notamment avec une demande d’inscription des érablières comme sites naturels du patrimoine mondial. Le projet comprend des séances de dégustation. Bien que le commanditaire se défende de faire de la promotion, le milieu de la communication marketing est très au fait de l’importance des enfants dans les décisions d’achat de produits alimentaires.

Les caractéristiques patrimoniales du savoir-faire

Photo : Gilbert Bochenek, 2012

Récemment, dans le cadre de son programme de reconnaissance de porteurs de tradition, la Société québécoise d’ethnologie a remis un certificat de mérite à dix acériculteurs. Ces lauréats valident les principales caractéristiques patrimoniales du savoir-faire : il a été transmis par un ancêtre jusqu’à la troisième et même quatrième génération en amont; le procédé de transformation demeure traditionnel même si plusieurs utilisent de l’équipement moderne. La « cabane à sucre » est typique de l’époque de sa construction.

L’acériculture illustre bien le temps nécessaire à la transformation d’un bien utile en une chose sociale, c’est-à-dire patrimoniale. Depuis le défilé de 1925, près de 90 ans auront été nécessaires pour inclure un savoir-faire dans la loi du patrimoine. Au ministère Culture et Communications, la fabrication du sirop d’érable est inventoriée sans être reconnue.



[1] « Les conférences de ‘La Patrie’», La Patrie, 8 novembre 1883, p. 2.

[2] Édouard-Zotique Massicotte, « Une journée à la sucrerie », La Revue populaire, vol. 3, no 4, avril 1909, p. 73-75.

One Response to Le temps des sucres :

d’utilitaire à patrimoine

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