Patrimoine religieux
En 2003, les moines cisterciens-trappistes d’Oka mettent en vente leur abbaye. Au bout de trois années, ils décident de céder leur bien à un regroupement d’organismes (la corporation). Le plan d’affaires est idéal. On prévoit implanter des entreprises-écoles, créer un centre d’interprétation, assurer la conservation patrimoniale des lieux, accueillir des événements artistiques et héberger des retraités spirituels selon la tradition séculaire trappistes. Séduits, les moines réduisent le prix de vente et prêtent sans intérêt une partie importante de l’hypothèque.
Les moines cisterciens-trappistes
Contemplative, la spiritualité trappiste est au service de la recherche de Dieu. Leurs adhérents valorisent aussi le travail manuel, le silence et le retrait du monde. Leurs monastères se situent souvent en des lieux écartés, près de la nature. Ils n’ont pas d’activités apostoliques.
Au Québec, avant le Concile Vatican II, la discipline du silence est très ferme. Sauf en cas de force majeure, les moines ne parlent jamais. Entre 1968 et 1972, dans la foulée du Concile, la règle du silence est abolie et les moines apprécient les échanges. En 2007, le besoin d’un retour au silence les amène à déménager dans un lieu plus tranquille. La congrégation est réputée pour son fromage et pour la création de la Chantecler, une poule robuste capable d’affronter les hivers canadiens. L’autonomie alimentaire et la relève agricole sont des enjeux importants pour les moines.
Le site
L’abbaye Notre-Dame du Lac est située à Oka, près du lac des Deux Montagnes, dans la région des Laurentides. Des trappistes français s’y installent en 1880 après avoir reçu des Sulpiciens de Montréal un terrain.
Connu sous le nom de La Trappe d’Oka, l’actuel monastère est le quatrième à être érigé sur le site. Construit de bois, le premier loge l’École d’Agriculture d’Oka qui a formé la première génération d’agronomes au Québec. Les deuxième et troisième sont détruits par le feu. Le quatrième est construit entre les murs du troisième à compter de 1915 auquel s’ajoutent un autre cloître, une bibliothèque et un réfectoire. Le bâtiment est rénové en 1990. La superficie totale des lieux est de 275 hectares. Les terres hébergent un verger, des érables et des terres cultivées. L’ensemble ne jouit pas d’une protection légale.
Une rentabilité laborieuse
Les subventions et la concrétisation des projets initiaux ne sont pas au rendez-vous. La commission scolaire, qui devait y transférer des cours, se désiste. Les conversions nécessaires à la mise en tourisme des lieux sont en suspend. Une partie du bâtiment est louée à une école de hockey. Mais, tardant à payer le loyer, elle est expulsée. La corporation accumule les dettes tant et si bien que la municipalité d’Oka, son principal créancier et membre de la corporation menace de forcer la vente des lieux en 2010.
Un projet de vente qui échoue
Deux ans plus tard, la vente des biens à des intérêts privés est imminente. Pour protéger l’aspect patrimonial des lieux, tous conviennent de ne pas vendre à des promoteurs immobiliers. En fin de compte, l’offre d’achat de la congrégation Famille Marie Jeunesse de Sherbrooke est acceptée. Il y aurait donc un retour à la vocation spirituelle de l’endroit. Toutefois, la communauté religieuse ne reçoit pas une subvention escomptée et elle annule son offre.
La corporation refait ses devoirs
Sur le terrain, la corporation et d’autres intervenants, dont la députée provinciale, se remettent au travail. L’une des solutions préconisées serait la vente de 260 hectares de terres agricoles. Les enjeux de la conservation patrimoniale, de la souveraineté alimentaire et de la relève agricole demeurent entiers – de même que l’accumulation de dettes et le manque de liquidité.
Sous l’impulsion de la députée provinciale, un comité interministériel est créé pour évaluer la possibilité de protéger l’abbaye et d’élaborer un plan de relance. Elle fonde aussi l’Association des Cent Amis de l’abbaye d’Oka qui regroupe des sommités dont Hubert Reeves, Sœur Angèle, Jean-Paul L’Allier et plusieurs artistes.
Une solution qui fait consensus
Pour tous les intervenants, la vente des terres est inévitable. Il faut donc assurer la pérennité de leur vocation agricole. Toutefois, les créances dues et les menaces de saisie font craindre une vente sous pression alors que l’on souhaite que les terres soient réparties entre plusieurs acheteurs. Selon eux, la diversité de propriétaires empêcherait la spéculation foncière.
La réflexion amène le comité à proposer que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec achète les hectares pour les revendre dans des conditions optimales qui assureraient la pérennité de leur vocation agricole. Grâce à la somme immédiate générée par la vente, la corporation pourrait payer ses dettes et disposer d’un fonds de roulement lui permettant d’instaurer le plan de relance. Un décret ministériel est signé le 2 février 2014.
Nouveau gouvernement, nouvelle donne
Sous le couvert de l’austérité et faisant fi des décisions et du travail amorcé, l’actuel gouvernement annule le décret. Soutenu par une nouvelle députée provinciale, le ministre de l’Agriculture juge que la corporation peut s’occuper elle-même de la vente des hectares. D’ailleurs, le locataire des terres se dit prêt à acheter de même qu’un consortium dans le domaine agroalimentaire. Par ailleurs, ces acheteurs potentiels exigent d’être exonérés des dettes courues sur les terres. À long terme, la pérennité patrimoniale n’est pas assurée.
Un petit vent d’optimisme
En janvier 2015, une lettre ouverte dans le journal montre des avenues. Ainsi, on propose entre autres de créer une fiducie foncière agricole regroupant six à sept producteurs. Cette structure juridique, courante aux États-Unis et au Canada anglais, permettrait de gérer à long terme le développement durable de l’abbaye. L’auteur suggère également un investissement de la SEPAQ, pour développer l’hébergement et l’hôtellerie, et la création d’une fondation.
L’appel a été entendu. Le week-end dernier, la corporation signale qu’une importante location des lieux leur a donné le répit nécessaire pour prendre le temps d’évaluer les prochaines étapes. Elle confirme aussi qu’une trentaine de chambres seront bientôt offertes en location, que des sentiers de vélo seront aménagés au printemps et qu’elle s’apprête à lancer une fondation. Réaliste, elle a décidé de ne pas attendre après le gouvernement. C’est à suivre…
La pérennité du patrimoine… des responsabilités de part et d’autre
Le cas de l’abbaye d’Oka met en lumière un certain flou sur les responsabilités autant d’une partie que de l’autre. Ainsi, tous les intervenants dans le dossier conviennent de la haute valeur patrimoniale des lieux. Pourtant, l’abbaye n’est pas classée, ni citée. Elle n’est donc pas protégée légalement. Ne serait-ce pas là l’un des premiers gestes de protection à poser?
Malgré l’absence d’une protection légale, des mesures pour favoriser la conservation de l’abbaye ont été mises en place par l’administration précédente. Cependant, le nouveau gouvernement – pourtant fiduciaire du patrimoine des Québécois, est revenu sur son engagement sans proposer de solution alternative. Outre le silence troublant du ministère Culture et Communication qui aurait pu intervenir, n’y a-t-il pas lieu de mettre en place des balises de continuité pour éviter justement de mettre en péril des biens patrimoniaux, propriétés de l’ensemble des Québécois?
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Érigé en 1931, à l’emplacement même du premier monastère de bois (1881-1890), ce grand bâtiment de pierre abritait originalement l’Institut agricole d’Oka. Devenu collège privé pendant quelques temps dans les années 1960, la commission scolaire Blainville-Deux-Montagnes en fit l’acquisition vers 1970 pour le transformer en école secondaire, d’abord connu sous le nom d’école Saint-Pierre. Le monastère actuel est situé moins d’un kilomètre plus à l’est sur le Chemin d’Oka (François Godin).
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