Patrimoine religieux
Récemment à Rimouski, des gens annonçaient qu’ils comptaient faire une demande de classement pour leur cathédrale. Ce geste s’inscrit dans une longue réflexion où la Fabrique Saint-Germain a réussi à amener tous les milieux rimouskois vers une vision patrimoniale commune du bâtiment. Retour sur un cas exemplaire de direction.
La situation
Construite entre 1854 et 1859, la cathédrale est conçue par Victor Bourgeau, l’un des meilleurs architectes de sa génération. Celui-ci imagine un bâtiment de style néogothique inspiré des grandes cathédrales du moyen-âge. Au fil des années, la décoration intérieure s’est élaborée. Toutefois, en 1967, des rénovations importantes ont dénudé ses murs et ses voûtes tant et si bien que le Conseil du patrimoine religieux lui a donné la cote « D » qui rend le bâtiment inéligible aux subventions.
Des perceptions variées du bâtiment
Différentes perceptions sur la valeur patrimoniale du bâtiment circulent. Pour la population en général, les rénovations en 1967 ont détruit le cachet du monument. Pour d’autres cependant, notamment des enseignants en histoire au cégep, les altérations ont permis de rendre au bâtiment son allure d’origine, celui des grandes cathédrales médiévales. Au cours des années, plusieurs visites ont été organisées pour les étudiants. Pour d’autres chercheurs, les valeurs patrimoniales se situent dans la contribution du bâtiment à l’histoire de la ville. Dans l’ensemble cependant, la diffusion de l’importance patrimoniale du bâtiment auprès du grand public est faible, presque inexistante.
À l’origine du projet
Au départ, la Fabrique constate son incapacité à générer suffisamment de subventions pour effectuer des rénovations devenues essentielles. Elle se retrouve ainsi confrontée au choix de démanteler les lieux ou d’en faire don à la communauté. Elle choisit la deuxième option dans la mesure où les élus et la population s’engagent dans le projet.
Bâtir une équipe
La Fabrique communique avec la municipalité pour la formation d’un comité qui serait composé de représentants de la ville, de la Société du patrimoine, du milieu des affaires, de la Fabrique et de l’Évêché. Rapidement mis sur pied, le nouveau comité juge essentiel que des professionnels spécialistes, tels qu’avocat et architecte, ainsi qu’une association jeunesse de la Fabrique, rejoignent aussi l’équipe. Celle-ci veut connaitre l’opinion de la population. Une assemblée publique confirme leur intérêt pour le projet.
Une nouvelle vocation
Pour le comité, la solution réside dans une nouvelle vocation au service d’organismes communautaires. Il préconise que la ville devienne propriétaire des lieux et qu’elle s’occupe de son entretien. Pour sa part, la Fabrique est prête à vendre un terrain au profit de la cathédrale. Enfin, des outils doivent être mis en place pour favoriser l’octroi de subventions.
Faire connaitre la cathédrale
Les milieux universitaire et collégial se mobilisent également et entreprennent un projet d’étude du bâtiment – de la crypte au clocher. L’équipe veut le documenter sous ses aspects historique, archéologique, patrimonial et sociologique; des étudiants recueillent aussi des témoignages parmi la population. Les chercheurs prévoient publier les résultats dans la revue Cahiers de l’Estuaire. L’équipe lance également un appel à d’autres spécialistes afin de bonifier le contenu. En mai, ces chercheurs organisent une journée à l’intention du grand public où ils offrent des visites guidées, une exposition et des conférences. Le groupe remet le résultat de ses recherches au comité de sauvegarde.
Par ailleurs, bien que ces chercheurs s’entendent sur l’importance historique du bâtiment pour la ville, ils refusent de s’engager sur le bien-fondé de sa conservation.
Revoir les valeurs patrimoniales
La Société du patrimoine reçoit le mandat d’évaluer la valeur patrimoniale de l’édifice. En avril, elle remet en question l’apport négatif des rénovations. Elle juge, au contraire, que le changement n’est pas une erreur, que les travaux lui auraient plutôt redonné le style voulu au départ.
Le mois suivant, Luc Noppen, une sommité de l’architecture religieuse au Québec, est invité par le groupe des chercheurs à prononcer une conférence sur la cathédrale dans le cadre d’un congrès universitaire. Celui-ci souligne qu’à l’époque, le retrait des boiseries et des ornements s’inscrit dans une vision commune à l’échelle internationale. De fait, la suppression des éléments décoratifs a permis au bâtiment de retrouver son aspect néogothique d’origine. Sa cote « D » par le Conseil du patrimoine religieux serait, selon le spécialiste, une erreur.
La sortie publique de la Société du patrimoine et la conférence de Luc Noppen semblent être un tournant en faveur d’une nouvelle perception patrimoniale. Tous les intervenants, y compris les chercheurs, affirment dorénavant que la restauration a redonné au bâtiment ses éléments caractéristiques, dont sa verticalité, sa lumière, ses arches et ses colonnes.
Demande de classement en préparation
Le comité de sauvegarde repart plus solide pour entreprendre des démarches en vue du classement de la cathédrale par le ministère de la Culture. L’enjeu est important, car cette protection légale peut s’arrimer à du financement et elle assure la conservation du lieu sans égard à un changement de vocation.
En aout, la demande de classement est prête. Les recherches démontrent que la cathédrale figure parmi les cinq plus belles du Québec et qu’elle est porteuse de valeurs patrimoniales importantes. Malgré le changement de vocation, elle demeure un lieu public où les gens pourront s’y rassembler. Enfin, elle est érigée dans le secteur patrimonial de la ville facilitant ainsi les activités de mise en valeur du patrimoine rimouskois.
Accepter de penser autrement
Au départ, l’équipe concevait le projet comme un défi de conversion et de recherche de subventions. On reconnaissait au bâtiment un rôle historique, mais une valeur patrimoniale moyenne. Le comité s’est tout de même donné le mandat de documenter l’édifice. Un geste heureux, car leur appel à à la Société du patrimoine, l’a amené à regarder le bâtiment autrement et à cerner son importance patrimoniale pour le Québec au-delà de l’évaluation par le Conseil du patrimoine religieux.
Ce projet, auquel nous souhaitons le plus grand succès, met en lumière l’importance de la recherche pour les biens jugés importants pour une communauté. Il s’agit pour le comité d’un changement de paradigme complet alors qu’il mise dorénavant sur sa dimension patrimoniale pour obtenir des subventions et assurer sa conservation.
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