MISE À JOUR (6 novembre 2015) : Le MCC a émis le 5 novembre dernier un avis d’intention de classement pour la maison Alcan. La protection prend effet immédiatement et est valable pour un an. Ce délai est nécessaire pour faire les études qui s’imposent et rendre une décision pour son classement.
Patrimoine urbain
À Montréal, la dominance de l’utilitaire sur l’apport symbolique du patrimoine n’est pas nouvelle. Au début du XXe siècle, des bâtiments anciens du Vieux-Montréal sont détruits pour ouvrir des rues, malgré les protestations. Aujourd’hui, le cas de la Maison Alcan illustre bien cette vision désuète du patrimoine dans une ville.
L’ilot de la maison Alcan
Situé dans le Mille carré doré, l’ilot est formé par les rues Drummond, Sherbrooke et Stanley. Il comprend plusieurs bâtiments d’époques, de fonctions et de styles variés. Il se trouve dans l’aire de protection du Mount Royal Club et du Mount Stephen Club – des immeubles adjacents, classés selon la loi provinciale. En 1990, une enquête du quotidien La Presse auprès du grand public montréalais et de 50 architectes révèle que la Maison Alcan est la préférée dans la catégorie immeuble commercial autant pour le public que les architectes.
L’originalité du projet d’origine
Au départ, il s’agit d’un projet novateur d’intégration en design urbain. Le complexe insère cinq bâtiments patrimoniaux à des constructions contemporaines tout en respectant la configuration des lieux en densité et en hauteur. Les édifices sont reliés par une construction moderne de huit étages – un atrium servant de passage piétonnier. Son aménagement comprend une série de petits espaces à l’extérieur permettant d’admirer un élément patrimonial du complexe. Le projet illustre le souci de faire cohabiter harmonieusement différentes époques.
L’intégration réussie de la Maison Alcan est un projet phare dans l’histoire du patrimoine montréalais. Elle met fin à des décennies de démolitions et de reconstructions sans vision d’ensemble du cadre bâti existant qui a mené à une sensibilité patrimoniale de surface où l’on détruit l’immeuble tout en conservant sa façade.
Le nouveau concept
Les résidences anciennes sont préservées. Toutefois, le concept prévoit la construction d’un édifice de 30 étages au cœur de l’ilot et la destruction de l’immeuble de huit étages qui relie ses composantes. Il en est de même pour l’édifice NCSM Donnacona, une patinoire centenaire, aujourd’hui bâtiment militaire, dont on conserverait seulement la façade. La conception générale du nouveau projet va à l’encontre du modèle original et de l’esprit dans lequel il fut conçu sur tous ses aspects de conservation et de mise en valeur du patrimoine.
Des avis qui s’opposent
Situé dans l’arrondissement Ville-Marie, le projet est soumis au comité consultatif d’urbanisme de l’arrondissement. Des consultations publiques sont tenues en vue d’une modification au règlement d’urbanisme. Le Conseil du patrimoine de Montréal doit aussi émettre un avis à cause des édifices patrimoniaux dans l’ilot. Il en est de même pour le comité Jacques-Viger, une instance consultative en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’architecture, de design urbain et d’architecture de paysage. Enfin, le ministère Culture et Communications a aussi son mot à dire à cause de l’aire de protection.
Le comité d’urbanisme de l’arrondissement émet un avis favorable en mai 2015. Cependant, dans un avis conjoint, le Conseil du patrimoine de Montréal et le Comité Jacques-Viger formulent de sérieuses réserves sur le projet notamment l’axialité et le positionnement de la tour de 30 étages, la volumétrie d’ensemble, l’impact de sa densité, la destruction de l’édifice Donnacona, le concept de la circulation intérieure et l’aménagement des espaces à l’extérieur. Cet avis est remis à la ville en mai 2015.
Absence de transparence
La ville organise ensuite des consultations publiques pour présenter le projet. Cependant, elle fixe une première audience le 25 juin, au lendemain de la fête nationale et elle ouvre le registre d’opposition en juillet pendant les vacances, sans mentionner la Maison Alcan dans l’avis. Le choix délibéré d’obtenir une participation publique en juin et juillet respecte certes la mécanique des consultations publiques, mais elle dénature l’esprit dans lequel se fondent ces assemblées. Sans opposition, ni surprise, la ville décide d’aller de l’avant.
Une mobilisation importante du milieu
Depuis juillet, une fois le projet mieux connu des spécialistes, les oppositions se font entendre par de nombreuses lettres d’opinion, articles, reportages et blogues par plusieurs sommités dans les domaines de l’urbanisme, de l’architecture, du paysage bâti, du patrimoine…
La ville se défend par l’entremise de son maire qui souligne la tenue des consultations publiques. Il juge aussi que la nouvelle construction témoignerait de la vitalité immobilière de Montréal, que tout est une question de gout. Le 8 octobre dernier, la ville annonce l’arrêt du projet tout en brandissant le spectre des dangers de l’inoccupation.
Le patrimoine n’est pas un ennemi à contourner
La Maison Alcan, les vestiges de l’ancien village des Tanneries et le déversement des eaux usées dans le fleuve, pour ne nommer que des cas récents à Montréal, illustrent les dangers pour le patrimoine d’une vision fonctionnelle des projets lorsque la fin justifie les moyens avec des décisions précipitées sans vraiment réfléchir à des alternatives.
Pour plusieurs, le patrimoine est perçu comme un obstacle à contourner. On perd de vue qu’il demeure un bien collectif, un legs reçu et à transmettre aux prochaines générations. Entre les deux, de nouveaux patrimoines sont façonnés et découverts. Au-delà du bâti, le concept original de la Maison Alcan constitue une innovation, un savoir-faire élaboré, il y a une trentaine et qui a été repris ailleurs. Savoir-faire récent certes, mais appelé à un bel avenir. En tant que fiduciaires, nos élus doivent en priorité réfléchir à la manière de préserver cette vision originale du patrimoine montréalais en l’intégrant, par exemple, comme balise dans la conception de futurs projets.
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