Enjeux du patrimoine
Le 3 octobre dernier, John Porter a fait une sortie remarquée dans les journaux de Québec en critiquant la lenteur des discussions pour la création d’une fiducie en faveur du patrimoine religieux de la ville de Québec. Ce dernier préside un groupe de travail pour la préservation du patrimoine religieux de Québec.
Tout commence à l’automne 2017 lorsque la ville de Québec identifie huit églises d’importance sur son territoire, dont elle souhaite assurer la conservation : la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec et la cathédrale Holy Trinity sont toutes deux classées et désignées lieu historique du Canada; l’église de la Nativité de Notre-Dame (Beauport) est située dans un site patrimonial déclaré; les églises Saint-Charles-Borromée et Saint-Jean-Baptiste (fermée) sont toutes deux classées tandis que les églises Saint-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Charles-de-Limoilou (fermée) n’ont aucune protection.
La ville et le gouvernement québécois se disent prêts à investir quinze millions de dollars chacun sur 10 ans. C’est à ce moment-là que la ville crée en décembre 2017 un groupe de travail, dont le mandat est entre autres de « déterminer des solutions innovantes et porteuses en vue d’une appropriation collective de ce patrimoine ». Fidèle à ses habitudes, M. Porter se mettra rapidement au travail.
Rapport du groupe de travail
Le rapport est déposé en juin 2018. Selon le groupe de travail, les églises sont des biens collectifs qui appartiennent à la collectivité. Le groupe reconnait que l’Église est dépassée par les frais d’entretien de ses actifs immobiliers et préfère se consacrer à sa mission pastorale.
Dans ses recommandations, le groupe suggère la création d’un fonds, dont le principal bailleur, après les gouvernements, serait le diocèse qui remettrait une partie importante de ses profits lorsqu’il vend une église de moindre valeur patrimoniale. Pour gérer le tout, le groupe préconise la création d’une fiducie qui serait propriétaire de lieux et de biens sélectionnés.
Ce projet, pourtant fort intéressant, révèle des écueils dès la création du groupe.
L’Église et le patrimoine
Au Québec, pendant plus de trois siècles, les églises étaient des biens utiles que l’on remplaçait au besoin. Souvent, si l’ancienne église était en bon état, elle était convertie en mairie ou servait d’entrepôt. Une perception de la valeur patrimoine des églises apparait parmi les érudits vers la fin du XIXe siècle. Ainsi, à Montréal en 1882, la ville veut exproprier la chapelle Notre-Dame-de-bons-Secours. L’élite s’exprimera dans les journaux en faveur de sa conservation pour sa valeur historique. Il en est de même en 1905 lors de travaux de restauration sur l’église de Saint-Eustache. Les journaux publieront l’assurance de la fabrique que les traces de boulet de canon sur sa façade suite aux rébellions des Patriotes seront conservées. Ces deux événements demeurent tout de même atypiques puisque l’on préfère construire de nouvelles églises plus grandes pour le culte.
Si l’Église est aujourd’hui beaucoup plus sensible à son patrimoine, sa priorité demeure d’assurer sa mission.
Un projet chancelant au départ
Bien que le rôle des fabriques comme premières responsables des églises paroissiales soit reconnu par le groupe de travail, il n’a pas été jugé essentiel d’inclure des représentants des fabriques ou du diocèse dans la composition du groupe. Cette absence a généré des problèmes, notamment un manque de compréhension de la situation sur le terrain.
Par exemple, le groupe a établi qu’il reste 71 églises dans le paysage urbain, incluant les huit bâtiments sélectionnés, sans tenir compte que pour le diocèse catholique, les enjeux touchent 221 églises réparties dans 38 paroisses. De même, elle a évalué que 40 églises pourraient être vendues alors que selon le diocèse seulement sept églises seront disponibles. Il n’est donc pas possible pour l’instant de chiffrer la part attendue du diocèse.
Un argumentaire plutôt faible
Le groupe se base sur un mythe persistant que les églises appartiennent à tous puisque ce sont les paroissiens qui les ont payées. Cependant, ce sont des biens privés gérés par une fabrique. Lorsqu’une paroisse ferme, ses surplus matériels et financiers sont distribués à d’autres paroisses.
Au fait de la situation financière précaire connue pour de nombreuses fabriques, il est surprenant que le groupe de travail demande qu’une fiducie devienne propriétaire d’une église sans proposer de compensation financière. Ainsi, l’Église doit non seulement donner ses biens, mais elle doit aussi financer le projet.
La création d’une fiducie est une bonne idée
L’idée de la fiducie est sans doute inspirée de l’Angleterre. De fait, la Churches Conservation Trust a le mandat de protéger les églises historiques à risque. Cette fiducie est responsable de 355 églises, dont elle assure l’intégrité physique et l’utilisation par la communauté locale. La majorité des églises servent parfois au culte. Une partie importante du travail de la fiducie est la recherche de financement. Ses sources de revenus proviennent du gouvernement, d’un fonds des employés de l’Église d’Angleterre, de fondations, de dons privés, d’entreprises et d’activités de levées de fond.
Le projet du groupe de Québec est assez similaire sauf pour la responsabilité du financement. Pour se mettre sincèrement au service du patrimoine, le groupe doit voir plus grand et inclure un programme de financement novateur dans son projet. À Montréal, le cas de l’église Sainte-Brigide-de-Kildare est exemplaire d’une collaboration fructueuse entre la communauté, la fabrique et le diocèse qui y ont tous trouvé leur compte au profit du patrimoine.
Tous grands projets exigent du temps, de la patience et de la persévérance. Le cas de Montréal, celui des Augustines au Québec et de la Source à Natasquan sont de grands succès qui ont nécessité une décennie de préparation. Dans cette perspective, le groupe de travail en est encore à ses débuts. Nul doute que des idées vraiment novatrices jailliront au fil des discussions.
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