Patrimoine industriel
Dans le Bas-Saint-Laurent, le plus vieux moulin à farine de la région est dans un état de destruction irréversible. Ce moulin est pourtant classé par le ministère de la Culture et des Communications (MCC). Faut-il s’acharner à conserver des ruines ou le MCC peut-il songer à aliéner un bien patrimonial, même classé?
Le Moulin du Petit-Sault
Construit en 1823, le bâtiment en pierre se présente dans un format rectangulaire sur deux étages et demi. Il s’agit du plus ancien moulin toujours érigé dans la région. Il est opérationnel jusqu’en 1940 et habité par la suite. Il est vacant depuis 1959. Le monument est classé par le MCC en 1962 en raison de son ancienneté et de la rareté de ce modèle dans la région.
Un monument négligé par ses propriétaires…
À la suite du classement, des octrois sont donnés au propriétaire qui effectue des réparations non conformes aux exigences du MCC. Les subventions cessent. Le bâtiment est vendu en 1971. À cette époque, la nouvelle propriétaire estime des couts de rénovation frôlant les 150 000 $. Elle ne donne pas suite au projet. Les intempéries et le vandalisme endommagent la structure. Dès 2001, des pressions sont exercées sur la propriétaire pour qu’elle vende son bien. Mais, ce n’est qu’en 2010, qu’elle se dit prête à céder les lieux à une fondation, une corporation ou un mécène.
Au moment de la vente, les fenêtres sont disparues et les portes placardées défoncées. L’intérieur est désolant : murs lézardés, planchers fractionnés, partie du toit effondrée. Toutes les réparations effectuées depuis 1983 sont exécutées en urgence.
… par le ministère Culture et Communications…
De son côté, le MCC démontre un certain laxisme. Ainsi, malgré le changement de propriétaire en 1971, ce n’est qu’en 1977 qu’il communique avec la responsable. La même année, dans un avis verbal, le MCC conclut qu’il vaut mieux conserver le bâtiment en tant que ruines et limiter les investissements. Dans une missive à la société d’histoire locale, il mentionne hésiter à investir dans le Moulin du Petit-Sault alors que d’autres monuments coexistent dans la région. À deux occasions depuis le classement du moulin, le ministre n’a pas exercé son droit de premier acheteur.
… et la population locale
Dans l’ensemble, la population locale est indifférente au sort du moulin malgré quelques gestes de mise en valeur. Ainsi, le bâtiment fait partie d’un circuit patrimonial comprenant dix-neuf sites. Cependant, c’est une ruine éloignée de la principale route y menant. Il est peu probable qu’il attire un grand nombre de visiteurs. La municipalité de L’Isle-Verte ne veut pas acquérir le monument tandis que la Municipalité régionale de comté de Rivière-du-Loup confirme ne pas avoir les fonds pour participer à des travaux de restauration.
Un nouveau propriétaire
Le moulin jouit d’un nouveau propriétaire qui souhaite en faire un musée et site d’interprétation. Pour réussir son projet, il propose de démanteler la structure et de la remonter selon les plans initiaux et avec les pierres d’origine. Il se dit prêt à respecter les règles régissant les bâtiments historiques. Le propriétaire s’est tout de même donné une limite maximum d’investissement. Le dossier est entre les mains du MCC. Il s’agit d’une entreprise de longue haleine.
Aliéner un bien classé
Selon la loi du patrimoine, la possibilité d’aliéner un bien classé est l’apanage du propriétaire. Une fois cédé, le nouveau détenteur doit accepter les responsabilités dévolues aux monuments protégés.
En 1962, lorsque le moulin est classé, la protection et l’engagement envers le patrimoine au niveau local (citation) ne sont pas inclus dans la législation. Par ailleurs, l’intérêt patrimonial du Moulin du Petit-Sault est strictement de proximité. Cependant, son cas illustre une situation où ni la population ou les autorités régionales pertinentes ne sont interpellées par sa protection. On déplore certes son état de délabrement et, ici et là, des gens s’intéressent à son sort. Toutefois, ces gestes restent sans lendemains.
Le projet de mise en valeur du site est profitable avant tout à une localité qui est indifférente. N’est-il pas temps pour le MCC d’établir un protocole d’aliénation basé sur des critères rigoureux entre autres liés au niveau d’intérêt patrimonial (local, national), à l’engagement citoyen et des autorités locales et à l’intégrité du monument? Le MCC devrait ensuite s’assurer que le bâtiment visé est documenté (textuel et iconographie) et que cette étude exhaustive est accessible aux chercheurs. Sur ces jalons, et d’autres au besoin, le Moulin du Petit-Sault pourrait être retiré de la liste des biens patrimoniaux classés.
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