C’est le 7 mars 1922 qu’était adoptée la première loi sur le patrimoine culturel au Québec. Apparu au tournant du XXe siècle, l’intérêt pour les immeubles anciens et historiques s’est lentement propagé parmi les membres de l’élite intellectuelle. À Montréal, la Société d’archéologie et de numismatique, dont font partie le notaire Victor Morin, l’archiviste Édouard-Zotique Massicotte et l’avocat William Douw Lighthall milite depuis plusieurs années pour la protection des bâtiments historiques.

Un premier mouvement concerté pour la création d’une commission vouée à la protection de monuments est lancé en 1920 par la Société d’archéologie, puis imité par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et la Société historique. Selon la pétition de la Société d’archéologie :

Alors que nous observons que nos églises anciennes et bâtiments historiques disparaissent un à un, la Société exhorte le gouvernement provincial à nommer une commission dont la tâche serait de gérer ces lieux d’intérêt et de trouver les moyens de les conserver » [traduction].

SANM, rencontre mensuelle, 17 décembre 1920

De fait, le journal La Presse annonce que L.-A. David demande la création d’une commission basée sur celle qui existe en France selon une circulaire ministérielle de 1837.  En 1837, la République française a créé la Commission des monuments historiques, responsable de la gestion de l’ensemble des monuments en France. Elle a établi en parallèle le Comité des Travaux Historiques, dont la section Comité Historique des Arts et Monuments a le mandat de fournir, aux membres de la Commission, les recherches historiques et archéologiques requises pour prendre des décisions de restauration. À l’origine, la commission française doit classifier les monuments c’est-à-dire qu’elle doit les inventorier et ensuite déterminer leur ordre d’importance selon leur degré d’intérêt.  Cependant, David propose plutôt que :

 

[la Commission soit] chargée de voir à la conservation des vieux monuments de notre province, tels que vieilles chapelles, vieilles églises, anciennes maisons, etc. Le gouvernement ferait l’acquisition de ces reliques du passé et chargerait une commission de s’occuper de leur conservation. On procéderait par classification, comme dans les pays européens. La commission décréterait quel vieux monument doit être considéré d’intérêt national et se chargerait de son entretien.

« Monuments à conserver », La Presse, 4 février 1922, p. 1.

 

Un compte rendu de l’adoption du projet de loi dans le journal Le Soleil révèle que les attentes de David ne concordent pas avec celles du gouvernement québécois :

 

« Ici, l’on ne veut que classer nos monuments historiques afin de pouvoir les suivre et de les localiser en n’importe quel endroit où ils se trouveront. Nous voulons simplement surveiller ».

 

Le journal rapporte que le chef de l’opposition demande que les propriétaires qui auraient des obligations suivant le classement de leur bien soient indemnisés et qu’un secrétaire chargé de faire des rapports sur les recherches et les découvertes soit rémunéré. David réplique que le gouvernement ne veut pas allouer de budget à la Commission et que la publication de rapports repose sur les commissaires qui seront nommés[2]. La Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique est adoptée le 7 mars 1922 et sanctionnée par le lieutenant-gouverneur le 21.

La loi québécoise est libellée dans ses grandes lignes selon le texte de la loi du patrimoine français datée du 30 mars 1887 où l’on propose un mécanisme visant à protéger les monuments, mais pas les moyens. Elle se distingue cependant sur deux points importants : la France alloue un budget spécifique pour la gestion de son patrimoine et les biens religieux les plus importants appartiennent à l’État qui assure leur entretien. Sur ces deux éléments, la province de Québec s’inspire plutôt de ce qui se fait en Angleterre, c’est-à-dire que le pays consacre un budget minime, non défini, à son patrimoine. La gestion de ses biens religieux, même les plus précieux, dépend d’intérêts cléricaux et laïques, et de fonds soumis aux souscriptions.

Le 12 avril 1922, le cabinet du ministre se réunit pour décider du choix des commissaires. La nomination de Massicotte, de Morin et de Lighthall est annoncée le 13 avril. Pierre-Georges Roy, archiviste de la province, de même qu’Adélard Turgeon, membre du Conseil législatif, s’ajoutent au trio tandis que Charles-Joseph Simard, sous-secrétaire de la Province, représente le secrétaire David qui est membre d’office puisque, selon la loi, la Commission est sous sa direction. Des tractations en coulisse favorisent la nomination de Turgeon comme président et de Roy comme secrétaire de la Commission, de même qu’une division des responsabilités par les régions Ouest et Est.  Le président Turgeon décède en 1929, un peu avant le déclenchement de la Crise économique qui ralentit grandement les travaux de la Commission. Néanmoins, pendant ce court laps de temps, elle publie trois rapports d’importance sur les monuments commémoratifs, les églises et les anciens manoirs et une monographie sur l’Île d’Orléans. Elle procède à la production d’une centaine de panneau d’information historique, amorce un inventaire photographique de documents d’archives et de biens mobiliers anciens et initie quelques événements commémoratifs. Les trois premiers classements, dont celui du château Ramezay, ont lieu en 1929.


  • [1] SHM22, 18 juin 1922
  • [2] « Le lien qui existe entre ce qui est et ce qui a été », Le Soleil, 8 mars 1922.

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