Histoire du patrimoine : diffusion
À Montréal, l’année 1917 marque le 275e anniversaire de sa fondation et la première visite animée dans le Vieux-Montréal par un guide qui introduit les participants à leurs biens historiques. Retour sur ce moment fondateur de l’histoire du patrimoine québécois(*).
L’organisation
Présidée par le notaire Victor Morin, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM) décide de célébrer avec les Montréalais. Engagé également à la Société historique de Montréal et à la Société d’archéologie et de numismatique, il obtient l’aide de guides historiens amateurs dans les deux langues. Des édifices emblématiques dont le Château Ramezay, le séminaire Saint-Sulpice et la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours sont pavoisés pour l’occasion. Un congé civique et scolaire est décrété.
La participation des journaux
Intrigués par le caractère novateur de l’activité, les quotidiens collaborent en publiant le circuit qui comprend vingt-sept arrêts selon un plan de Montréal en 1760. Les bornes se composent de vestiges, de monuments et de lieux de mémoire. Dans l’ensemble, les descriptifs sont factuels : pour un bâtiment disparu, on donne le nom des propriétaires et l’année de sa disparition; s’il existe, on propose un bref historique. La simplicité des détails révèle une volonté de l’organisation d’intéresser une nouvelle clientèle populaire. L’offensive médiatique génère un discours de réception dans le journal Le Canada :
La chapelle de Bonsecours […] est l’endroit historique le plus fréquenté de Montréal. La piété et le zèle des citoyens l’ont toujours défendue contre le temps. Dernièrement restaurée à l’intérieur, la petite chapelle ne garde pas moins en dehors le cachet du bon vieux temps avec son petit clocher et sa statue à Notre-Dame de Bonsecours […].
Le média lance aussi un appel à la conservation : « L’Hôtel-Dieu, l’église Notre-Dame, le vieux séminaire, la place d’Armes, le Château Ramezay et tant d’autres du nouveau régime comme de l’ancien sont autant de monuments et de places historiques que nous devons conserver contre le temps rongeur des choses ».
La visite animée
Confronté à la réalité du terrain, le trajet comporte désormais vingt-trois arrêts commentés de l’ordre de « Ici a vécu, là était la résidence de… » auxquels Victor Morin ajoute des commentaires personnels. Ainsi, devant l’ancienne église paroissiale, il souligne l’existence d’une œuvre peinte pour ceux qui voudraient admirer les vestiges de l’édifice disparu. En face du séminaire des sulpiciens, il déplore la disparition d’un vieux cadran. Les guides anglophones adaptent aussi leur discours lorsqu’ils mentionnent les églises protestantes.
La réception dans les médias
Les quotidiens produisent des comptes rendus détaillés de la visite et commentent. Dans La Presse :
Un vieux mur, quelques débris de pierres, une antique porte cintrée, un édifice deux fois séculaire, un trou dans une muraille noircie, une rue minuscule au nom indien, une chapelle, un obélisque, une dédicace, une inscription, un symbole : tout cela nous rappelle les temps providentiels et héroïques d’une colonie naissante.
Pour sa part, Le Devoir évoque un patrimoine mobilier en rapportant que l’église Notre-Dame a « exhumé pour la circonstance des trésors d’une richesse inestimable » :
L’autel orné jusqu’au faîte de palmes et de fleurs était aussi paré d’un antependium brodé de la main de Mademoiselle LeBer et la chasuble de l’officiant et les dalmatiques des diacres et sous-diacres étaient aussi l’œuvre de la main experte et pieuse de la recluse… Deux cent cinquante ans se sont écoulés qui n’ont pas terni ces chefs-d’œuvre […].
Les suites de l’événement
Pour la publication d’un livre souvenir, Victor Morin rédige une visite synthèse appuyée sur des anecdotes provenant de guides touristiques et de journaux. Il intègre aussi des événements et des monuments propres aux Anglophones et à d’autres groupes culturels. Enfin, il critique des travaux de restauration effectués à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours : « [qui a] perdu beaucoup de ce cachet d’originalité qu’on aime à retrouver dans les vieilles choses, en particulier les petites boutiques pittoresques qui la flanquaient le long de la rue Saint-Victor […] ».
En introduisant les Montréalais à leur patrimoine in situ, la SSJBM pose un geste important, car elle ancre l’idée patrimoine dans l’esprit des Montréalais et la nécessité de le préserver. L’éducation au patrimoine requiert un rappel ponctuel de sa valeur et de son importance pour le groupe culturel. Toutefois, la SSJBM ne renouvellera pas l’activité. Cette décision a éliminé pour plusieurs décennies l’idée d’inclure le grand public aux enjeux du patrimoine.
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(*) Ce billet est issu d’un article publié en 2006. Pour d’autres détails et les références, voir : Diane Joly, « Montréal 1917 : Émergence d’une identité patrimoniale », Patrimoine et patrimonialisation, du Québec et d’ailleurs, Québec, MultiMondes, 2006, p. 177-188 ou communiquez avec moi.
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