Histoire du patrimoine : diffusion
La croix de chemin est présentée comme un objet social et non religieux

La croix de chemin est proposée comme objet social pouvant s’ancrer dans la sphère patrimoniale.

En  1925, le défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal est le théâtre d’une exposition originale en proposant des biens culturels comme sujets de char allégorique. Un discours sur des biens choisis est ainsi produit. Puis, il est reçu et commenté par les médias. Bref retour sur ce moment fondateur de l’histoire du patrimoine.

La dynamique patrimoniale

Le défilé présente des facettes de la culture canadienne-française. La scénographie s’articule en une série de tableaux qui défilent l’un derrière l’autre dans les rues, selon une lecture et un parcours obligé. Le choix de biens culturels, comme sujets de chars, confirme qu’ils sont suffisamment importants parmi la population pour être reconnus, même de manière symbolique. L’événement entend produire un impact social en redonnant au groupe le sentiment de son existence et de son identité.

Le discours des concepteurs

En tout, quatorze chars représentent des biens à caractère patrimonial[1].  Les organisateurs font appel à des personnages ou à des anecdotes historiques pour mettre en valeur les biens.

Le discours des concepteurs est diffusé grâce à des maquettes texte-image qui sont publiées dans La Presse et La Patrie. Pour les artéfacts, le texte renvoie leur fonction utilitaire au passé. L’on souligne donc un temps révolu non vécu par les contemporains. Mais, l’idée patrimoine n’est pas exprimée. Les textes sur les coutumes sont historiques et descriptifs. L’affiliation culturelle avec le groupe est explicite et confirme une portée patrimoniale. Mais cette idée n’est pas encore formulée. L’information sur les savoir-faire est sommaire vraisemblablement parce que, par exemple, le tissage et le filage ont un statut équivoque à cause de leur réinsertion récente dans l’économie domestique et touristique. Ils sont redevenus des objets utiles.

De tous les descriptifs, celui sur les croix de chemin affirme clairement une valeur patrimoniale. Selon l’auteur, elle est un « legs non le moins beau du patrimoine ancestral [qui] donne à nos campagnes canadiennes un cachet particulier[2] » tandis que les chansons populaires sont des biens hérités : « Faire la place belle à ces chansons populaires, si prenantes et si touchantes dans leur naïveté, héritage précieux de nos pères et auxquelles en tous pays, on réserve un souvenir ému ».

Le discours des médias

Les médias produisent aussi un discours de réception avant et après le défilé qui révèle l’adéquation des idées, ou son absence.

Les appropriations sont fréquentes. Ainsi, La Patrie s’intéresse à la chanson qu’il perçoit comme un outil de cohésion sociale en étant « un excellent moyen de propagande et d’éducation artistique ». La Presse écrit : « C’est un patrimoine que ces vieux airs jolis […]. Lorsque tant de nos traditions agonisent ou meurent, si l’on pouvait conserver la plus gracieuse de toutes, celle de la bonne chanson, nous aurions fait encore, ce me semble, œuvre bonne et patriotique ».

Ailleurs, un éditorial s’intéresse aux multiples concepts émanant du défilé :

[La procession] servira à vivifier en quelque sorte quelques-unes des coutumes et des chansons léguées par les ancêtres. Ce défilé […] sera comme une leçon d’histoire en différents tableaux présentés sous une forme attrayante autant qu’artistique. […] Nous avons sûrement besoin de retremper notre foi patriotique dans l’atmosphère de notre passé national.

Le lendemain du défilé, tous les quotidiens présentent des comptes rendus. Les auteurs mentionnent la beauté des tableaux et leur valeur éducative. La majorité y perçoit un document historique important et, dans l’ensemble, c’est cette dimension du défilé qui est retenue :

Ce long défilé fut comme un saisissant tableau synthétique des coutumes et traditions ancestrales […]. Ces nobles visions du passé demeureront aussi une fière leçon de patriotisme. […] Chacun a pu se rendre un compte plus ou moins exact de ce que furent les pénibles et héroïques débuts de la colonie, les progrès gigantesques.

 Les lendemains du défilé

La Grosse gerbe. Les costumes anciens favorisent à la fois une affiliation avec les ancêtres et une rupture avec le passé.

La Grosse gerbe. Les costumes anciens favorisent à la fois une affiliation avec les ancêtres et une rupture avec le passé.

Par son caractère public, ce défilé affirme aux Canadiens français l’importance de certains biens culturels propres au groupe. De plus, les concepteurs y font alterner des sujets historiques qui soutiennent la mémoire, des biens qui témoignent d’une future identité patrimoniale et d’autres, porteurs d’une valeur patrimoniale. Cette approche est adoptée jusqu’aux années 1960. Toutefois, l’utilisation importante de l’histoire affaiblit la diffusion de l’idée patrimoine lorsque, trop souvent, l’aspect historique domine sur leur valeur patrimoniale. De fait, en 1925, seules les chansons et les coutumes sont clairement identifiées comme ayant un potentiel patrimonial parce qu’aucun personnage historique n’est associé à l’un de ces thèmes. Ces biens relatent des temps anciens et leurs représentations permettent d’établir une passerelle temporelle vers le passé, vers les ancêtres – un geste essentiel pour la reconnaissance patrimoniale d’un bien. En entrant ces biens culturels dans la sphère publique, l’activité s’est tout de même avérée un outil d’interprétation novateur pour éduquer les Canadiens français à leur patrimoine[3].

De retour à la mi-aout


[1] Les biens sont répartis en artefacts : raquette et traîneau, canot d’écorce, croix de chemin; en coutumes : grosse gerbe, plantation de mai, guignolée; en folklore : À Saint-Malo beau port de mer, Fils du roi s’en va chassant, Vive la France, Marianne s’en va-t-au moulin, À la claire fontaine, Vive la Canadienne; et en savoir-faire : fabrication sirop d’érable, tissage domestique, filage et tissage.

[2] Les citations dans l’ordre : La Patrie, « La procession de la S.-Jean-Baptiste », p. 14; « Dans le défilé du 24 juin » (Jeanne Le Ber), p. 9; É.-Z. Massicotte, « Traditions avec 35 chars allégoriques », p. 23; La Patrie, « La manifestation patriotique », p. 27 et Colette, La Presse, « Charmes vieilles chansons canadiennes », n.p.

[3] Un texte général sur les défilés est offert dans l’Encyclopédie du patrimoine culturel.

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