Maison généralice des Soeurs de la Charité Photo : Erick Labbé (Le Soleil)

Maison généralice des Soeurs de la Charité
Photo : Erick Labbé (Le Soleil)

Patrimoine immatériel

Récemment, les Sœurs de la Charité de Québec ont cédé leurs terrains agricoles au Groupe Dallaire inc. Ce dernier entend mettre en valeur ces nouveaux actifs en développant jusqu’à 6 500 unités résidentielles au cours des prochaines années. La congrégation a aussi vendu au Groupe leur maison mère avec une clause l’engageant à y maintenir la vocation caritative et l’architecture historique du lieu. Dans l’ensemble, le Groupe prévoit des fonds pour assurer à long terme la pérennité des œuvres charitables de la congrégation. Cependant, des regroupements s’objectent au projet en prônant la poursuite de l’exploitation agricole. Entre le matériel et l’intangible, qui décide du patrimoine à préserver?

Les Sœurs de la Charité de Québec

Fondée par Mère Marcelle Mallet, les Sœurs de la Charité œuvrent auprès des démunis depuis 1849. Consacrée officiellement en 1866, la congrégation est portée par un charisme de compassion et par des valeurs basées sur l’amour-charité et l’économie du don. L’implication des sœurs dans le milieu hospitalier de la santé mentale fut crucial dans la région de Québec. Parmi les œuvres actuelles figurent la soupe populaire et l’accueil de malades de l’extérieur. La communauté compte près de 375 religieuses dont plus de la moitié résident à l’infirmerie située à la Maison généralice dans l’arrondissement de Beauport.

La terre agricole

Les terrains ont été achetés par les Sœurs entre 1894 et 1955. Ils sont enclavés dans une zone urbanisée. La superficie est d’environ 200 hectares soit 21,5 millions de pieds carrés. La terre a longtemps servi pour subvenir aux besoins alimentaires des patients de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. Encore récemment, elle était exploitée par une entreprise agricole à distance.

Choisir ce que l’on veut léguer

En 2005, la communauté entreprend une profonde réflexion sur son avenir, celui de la Maison Mallet et des terres. Les Sœurs décident entre autres d’accueillir les membres de petites congrégations dans la Maison Généralice[1]. Elles conviennent entre elles qu’il importe de continuer à nourrir les pauvres lorsqu’elles seront parties. La vente des terres au Groupe Dallaire devient pour elles un moyen d’assurer la pérennité de leur charisme en priorisant l’aide aux personnes démunies.

En 2012, au-delà de leur mission, les Sœurs lèguent au Musée de la civilisation près de 6 000 objets marquant leur histoire dans la région.

Des oppositions

L’Union des producteurs agricoles milite pour la poursuite de l’exploitation agricole en rappelant que seulement deux pour ceux du territoire québécois sont cultivables. Elle lance aussi une pétition. Selon les dernières données, environ 3 500 personnes ont signé. La mobilisation est ainsi plutôt faible.

Une quarantaine d’enseignants et d’étudiants à la maitrise en gestion de l’environnement de l’Université de Sherbrooke s’opposent également au projet. Dans une lettre signée, ils s’appuient sur l’importance d’enjeux environnementaux et alimentaire pour exiger la poursuite de la vocation agricole des terres. Pour y arriver, ils suggèrent l’implantation de coopératives agricoles, des lots pour la relève, des jardins communautaires ou l’agrotourisme. D’autres, provenant surtout de l’Université Laval, signalent la pratique de jardins sur les toits ou l’absence d’une recherche de ce qui se fait ailleurs.

Dans l’ensemble, les opposants militent pour une cause tout en étant conscients que leurs propositions sont peu rentables. Le terme patrimoine dans un contexte agricole ou écologique est plutôt approprié pour leurs intérêts.

Les objectifs des Sœurs de la Charité sont entièrement occultés des débats c’est-à-dire qu’on ne propose pas de solution convenant à leur volonté. Par ailleurs, ces dernières n’ont jamais reçu d’offres d’achat pour ces terres. Plus encore, lors de consultations publiques en vue de l’adoption du plan d’aménagement de la Communauté métropolitaine de Québec (2012), ces terrains avaient été identifiés pour le développement sans susciter d’opposition.

Le patrimoine

Les acteurs usuels du patrimoine sont peu nombreux à s’exprimer. Action Patrimoine mentionne que la terre fait partie de la plus ancienne trame agricole du pays par des terres concédées dans la première moitié du XVIIe siècle. Cependant, sa ceinture urbaine affaiblit grandement sa valeur patrimoniale : visuellement, elle constitue un espace vide, muséifié. Par ailleurs, l’équipe de l’Inventaire du patrimoine religieux du Québec (IPIR) à l’Université Laval inclut les œuvres sociales des Sœurs dans le corpus du patrimoine immatériel religieux.

Hommage aux Soeurs de la Charité (maquette) Photo : Valérie Gaudreau (Le Soleil)

Hommage aux Sœurs de la Charité (maquette)
Photo : Valérie Gaudreau (Le Soleil)

Le charisme est-il patrimonial?

Les Sœurs de la Charité ont opté d’assurer la pérennité de leurs engagements envers les pauvres et les démunis. Elles ne sont pas les premières à souhaiter la conservation de leur engagement. Les Augustines à Québec ont mis en place une fondation à cet effet; les Pères du Saint-Sacrement à Montréal ont donné leur sanctuaire à une jeune communauté qui perpétue l’adoration eucharistique.  Il en est souvent de même lors de la vente d’églises. Les fabriques exigent que le bâtiment conserve une vocation sociale, par exemple en demeurant un lieu de rassemblement public.

Dans le domaine du patrimoine religieux, cette tendance qui se fait de plus en plus visible constitue un nouvel enjeu dont il faut tenir compte. Il importe donc de se pencher sur les caractérisques des valeurs sociales associés au patrimoine religieux et sur l’autonomie des congrégations et du clergé à décider du patrimoine qu’ils veulent léguer.



[1] En décembre 2014, elles sont 400 religieuses à y vivre, dont 250 sont à l’infirmerie. La moyenne d’âge est de 85 ans.

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