Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, Montréal Photo : Jean Gagnon, 2008 (Wikimédia Commons)

Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis
Photo: Jean Gagnon, 2008 (Wikimédia Commons) 

Patrimoine historique 

Récemment, le ministère Culture et Communications (MCC) mettait discrètement en vente l’ancienne Bibliothèque Saint-Sulpice à Montréal. Toutefois, l’opposition manifestée dans les journaux annule le projet et amène les élus municipaux et provinciaux à créer un énième comité d’experts devant réfléchir sur l’avenir du bâtiment. Regard sur ce bien protégé certes, mais mal aimé.

Histoire de la bibliothèque

Les Sulpiciens créent en 1844 L’œuvre des bons livres. Forte de son succès, la direction aménage des cabinets de travail, pour les recherches érudites, puis une salle de nouvelles. La congrégation fonde ensuite le Cabinet de lecture paroissial de Montréal et offre des cours publics dans le domaine de la culture dès 1857. Le Cabinet est remplacé en 1885 par le Cercle Ville-Marie où de jeunes membres pratiquent l’art oratoire, les conférences publiques et les spectacles culturels (musique, théâtre…). Inaugurée en 1915, la Bibliothèque Saint-Sulpice réunit ces intérêts multiples avec une salle de lecture munie de cabinets de travail, une salle de conférences, une scène artistique et un espace d’exposition destinée à promouvoir les artistes canadiens.

Malgré plusieurs pétitions et de vives protestations dans les journaux, la bibliothèque ferme en 1931, mais demeure accessible aux étudiants de l’Université de Montréal jusqu’en 1943. Deux ans auparavant, elle est acquise par le gouvernement québécois qui l’ouvre aux chercheurs. En 1968, elle devient la bibliothèque nationale du Québec. Puis, Bibliothèque et Archives nationales transfère la collection dans ses nouveaux locaux en 2005. L’édifice demeure inoccupé depuis.

Sa dimension patrimoniale

Le bâtiment est érigé entre 1912 et 1914 à la suite d’un concours d’architecture remporté par Eugène Payette. Sa conception décline du style Beaux-Arts en vogue au début du XXe siècle. Le bâtiment comprend plusieurs corps et sa façade construite avec des matériaux nobles, et légèrement en retrait de la rue, lui confère un prestige certain dans un quartier montréalais peuplé. L’enveloppe et l’intérieur sont classés en 1988 pour leurs valeurs artistique et historique. La majorité des composantes sont d’origine.

Son premier conservateur, Aegidius Fauteux, dirige l’institution entre 1915 et 1931. Il négocie entre autres l’allocation d’espace pour la Société historique de Montréal. Ce choix heureux favorise la présentation de nombreuses causeries sur l’histoire et sur des biens patrimoniaux montréalais, des expositions d’œuvres d’art dont une en 1917 sur les bâtiments anciens de Montréal qui influence la tenue d’une première visite animée dans le Vieux-Montréal et l’inauguration de deux soirées remarquables introduisant les Canadiens français à leur folklore.

Patrimoine recherche propriétaires sérieux

Une fois vidé de ses collections, l’édifice est remis à la Société immobilière du Québec qui la met en vente. Pour la somme de deux millions de dollars, une entente est conclue rapidement, même précipitée, avec l’UQAM qui compte y aménager des salles de cours et sa faculté des arts. Toutefois, ce projet demeure à l’état d’idée. En 2007, dans le sillage du scandale de l’îlot Voyageur, l’établissement remet en vente la bibliothèque. Un groupe d’acheteurs, représentant des intérêts québécois, dépose une offre d’achat de quatre millions de dollars dans l’optique d’y implanter une librairie. Ne retenant que l’aspect vocationnel d’origine du lieu, des critiques s’opposent au caractère commercial du projet. Le MCC exerce alors son droit de préemption et acquiert à nouveau le bâtiment pour la somme de 4,5 millions de dollars.

Programme, soirée de folklore inaugurale, 1919

Programme, soirée de folklore inaugurale, 1919

Le gouvernement lance par la suite un appel de propositions. Un collectif de musique contemporaine est choisi pour résider sur les lieux. Toutefois, un changement de gouvernement et l’absence d’une réserve financière mettent fin au projet. Ce cas illustre une contradiction importante qui apparait lorsque l’on souhaite conserver une vocation culturelle à un lieu en l’offrant à des organismes œuvrant dans la culture – un domaine reconnu pour sa précarité. La maintenance d’un bien patrimonial de l’importance de la Bibliothèque Saint-Sulpice est onéreuse et exigeante. L’autonomie des locataires est presque impossible sans un investissement important du gouvernement.

Le problème reste entier du côté des institutions puisqu’à ce jour, la majorité des suggestions sont idéalistes, peu pratiques. Ainsi, parmi celles-ci figurent celles d’y aménager le siège social de l’Office de la langue française ou un musée d’histoire naturelle et d’y loger les collections spéciales de l’État avec salles de consultation. Ces idées sont toutes valables et intéressantes, mais elles ne tiennent pas compte du problème intrinsèque de manque d’argent.

Un nouveau comité pour un problème récurrent

L’annonce de la création du comité d’experts n’a rien d’encourageant. Dans un communiqué émis par le MCC, on peut lire ceci : « [le comité prendra] le temps d’évaluer toutes les possibilités résultant de cette initiative conjointe quant à l’avenir de ce joyau de notre patrimoine culturel[1] ». Cet exercice n’a-t-il pas déjà été fait et refait?



[1] CNW Telbec, 24 mai 2015. Communiqué émanant du MCC

One Response to La Bibliothèque Saint-Sulpice :

un patrimoine orphelin

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